1. Sel noir, 2024
Anne-Laure Buffard
2. Fata Morgana, 2022
Jeu de Paume
3. Diplomaties Terrestres, 2023 CIAP, Centre International d'Art
et du Paysage - Île de Vassivière
Anne-Laure Buffard
2. Fata Morgana, 2022
Jeu de Paume
3. Diplomaties Terrestres, 2023 CIAP, Centre International d'Art
et du Paysage - Île de Vassivière
Fiona Rogers
Curatrice inaugurale du projet Women in Photography du V&A (Victoria & Albert Museum)
Parasol Foundation
Curatrice inaugurale du projet Women in Photography du V&A (Victoria & Albert Museum)
Parasol Foundation
The Memory of Landscapes
Pour moi, Ilanit Illouz n’est pas une artiste, mais une archéologue. Telle une excavatrice intrépide, elle parcourt le paysage, arpente le désert à la recherche de ce qui est caché, non découvert. D’une certaine manière, son approche fondée sur la recherche n’est pas différente de celle d’une archéologue, montrant un engagement égal à l’étude du passé humain à travers ses vestiges matériels que ce passé soit ancien ou récent. Même ses œuvres sont « fossilisées », imprégnées du tissu brut du temps - de la poussière, du sable, du sel, de la terre et des minéraux. Telle une archéologue, Ilanit Illouz part à la recherche des lieux anciens - la Méditerranée, la mer Morte et le désert de Judée. Des terres qui se souviennent et commémorent, et d’autres qui sont aujourd’hui effacées.
Comment évoquer un lieu dont le paysage n’a plus de trace ? se demande-t-elle. Le travail d’Ilanit Illouz sert à créer une mémoire et un lieu là où il n’y en a pas. Une traduction de l’intraduisible.
Elle médite sur les traumatismes personnels et collectifs, rendant hommage
à sa mère et à d’innombrables autres personnes qui ont parcouru de grandes distances à la recherche d’une vie meilleure. Dans le cas de la mère d’Ilanit Illouz, la migration l’a menée en Algérie, à Marseille et à Kiryat Ata (dans le nord d’Israël).
Ses paysages abstraits représentent donc la sociopolitiqu - du territoire, des frontières, de la géographie et de l’indépendance. Ils sont résolument anonymes, un choix que je considère comme intentionnel et métaphorique, représentant simultanément quelque part et nulle part, ou la ligne ténue entre l’expérience personnelle et universelle.
Les œuvres d’Ilanit Illouz sont des « paysages politiques » pour les histoires
et les souvenirs qu’elles renferment, mais aussi pour les récits qu’elles cherchent à mettre en avant. Le processus unique de l’artiste est essentiel ici, qui prend la forme d’une sorte d’« intervention » - un acte d’excavation et de collecte délicate de matériaux organiques. Je vois Ilanit Illouz se pencher pour récupérer du sel, de la terre et du sable, et en retour, laisser une partie d’elle-même incrustée dans la terre. L’artiste crée une marque physique sur le paysage - wou peut-être s’agit-il plutôt d’un échange ? Une collaboration, ou même une performance ? J’imagine comment la terre se sacrifie pour Ilanit Illouz afin d’être commémorée. L’idée de « prendre » résonne dans ma tête. Prendre des photos, ou quelque chose qui ne nous appartient pas, comme un terrain, une maison, ou les droits de quelqu’un. De nombreuses destinations d’Ilanit Illouz font l’objet de conflits à la fois contemporains et historiques, souvent à propos de la terre-même qui, de la main de l’artiste, se cristallise et prend forme sur la surface de ses tirages. Il s’agit également de lieux impliqués dans des batailles modernes pour les ressources naturelles, notamment la mer Morte, dont le sel précieux est au centre d’un boycott international pour cause d’exploitation illégale. La mer morte est également confrontée à une crise climatique et se rétrécit à un rythme alarmant - environ un mètre par an. Au cours des quinze dernières années, 1 000 « sinkholes » comme on les appelle en anglais - des cuvettes qui se creusent dans le sol des régions calcaires - sont ainsi apparues. La traduction de « Sinkhole » en français, langue maternelle de l’artiste, est « Dolines » , le nom de sa série en cours. L’extraction et notre appétit apparemment insatiable pour les ressources naturelles marquent nos paysages à leur manière. Plus récemment, le travail d’Ilanit Illouz l’a conduite dans les régions volcaniques d’Italie. Ici, le sol se souvient de l’activité sismique de son passé et de son impact sur le paysage meurtri et les civilisations qui l’ont occupé. Les volcans sont à la fois témoins et traces du passé. L’artiste décrit son intérêt pour l’histoire comme étant «autobiographique, géologique, minéral et végétal ». En songeant à la matière volcanique - lave, poussière et pierre – me vient à l’esprit le mythe de Méduse, offensée par les hommes, chassée, et désormais dotée du terrible pouvoir de transformer les hommes en pierre. De les « pétrifier », à la manière du protocole de fossilisation utilisé par Ilanit Illouz. Méduse était quelque chose – une altérité - que l’on ne pouvait pas comprendre et qu’il fallait donc détruire. Après que Persée lui ait coupé la tête, Pégase et Chrysaor se sont envolées de son corps. Une transformation - une nouvelle vie à partir de la mort. Les régions volcaniques sont hostiles, et pourtant la vie trouve un moyen de survivre, parfois de s’épanouir.
En utilisant des matériaux organiques et des procédés de fouille, Ilanit Illouz souligne les pressions environnementales sur la géologie, le paysage, la limnologie, les écosystèmes et le climat de la Terre, ainsi que les effets de l’Anthropocène sur les mondes anciens. En prélevant peu, elle met en évidence de nombreux phénomènes ; ses interventions physiques symbolisant à la fois l’exploitation minière, et plus largement des sols, ainsi que la construction de barrages. Pour l’artiste, l’utilisation du sel est particulièrement significative. Son histoire complexe en tant que marchandise d’échange se confronte à sa place dans l’évolution historique et technologique de la photographie. La photographie est, par essence, un processus issu de la période industrielle et impériale.
Le sel a lui aussi traversé les continents et les océans, influençant au passage les dynamiques politiques, sociales et économiques. Il préserve, mais aussi dégrade - une métaphore de la fragilité de notre environnement et de la dynamique du pouvoir politique. Les pionniers Thomas Wedgwood (britannique, 1771-1805) et Joseph Nicéphore Niepce (français, 1765-1833) ont mis au point le procédé d’impression au sel, mais n’ont pas trouvé de solution pour fixer ou stabiliser leurs images. William Henry Fox Talbot (britannique, 1800-1877) a apporté quelques améliorations vers 1834, en utilisant une solution saline. L’utilisation de ressources naturelles pour capturer des images a été dévéloppée par Nicéphore Niepce vers 1822 avec la mise au point de l’héliographe”. Ce procédé implique l’utilisation du bitume de Judée, un matériau sensible à la lumière appliqué sur une plaque d’étain. Il a produit la plus ancienne photographie d’après nature connue, View from the window at Le Gras (1826 ou 1827).
Il existe une véritable alchimie dans le travail d’Ilanit Illouz, une beauté formelle dans la matérialité physique et la gestualité artisanale de sa pratique. Il s’agit d’un travail fastidieux, empreint d’une grande minutie. Après avoir collecté ses matériaux organiques, elle retourne à son atelier. Comme Wedgwood, Niépce et Talbot, elle crée et applique une solution à la surface de ses tirages photographiques, souvent à maintes reprises et pendant plusieurs mois. Une transformation s’opère. Le résultat n’est pas de ce monde un paysage lunaire, étincelant de millions de diamants. Un cheval de Troie qui cache sa complexité et attire le spectateur. Ilanit Illouz souligne la dimension cathartique de l’ensemble d’une démarche qui consiste à marcher, récolter, se remémorer, laver, effacer, oublier. Ses tirages sont à mes yeux un acte de résistance. Une archive alternative de l’histoire. Une forme de vie nouvelle surgissant des racines du passé.
Pour moi, Ilanit Illouz n’est pas une artiste, mais une archéologue. Telle une excavatrice intrépide, elle parcourt le paysage, arpente le désert à la recherche de ce qui est caché, non découvert. D’une certaine manière, son approche fondée sur la recherche n’est pas différente de celle d’une archéologue, montrant un engagement égal à l’étude du passé humain à travers ses vestiges matériels que ce passé soit ancien ou récent. Même ses œuvres sont « fossilisées », imprégnées du tissu brut du temps - de la poussière, du sable, du sel, de la terre et des minéraux. Telle une archéologue, Ilanit Illouz part à la recherche des lieux anciens - la Méditerranée, la mer Morte et le désert de Judée. Des terres qui se souviennent et commémorent, et d’autres qui sont aujourd’hui effacées.
Comment évoquer un lieu dont le paysage n’a plus de trace ? se demande-t-elle. Le travail d’Ilanit Illouz sert à créer une mémoire et un lieu là où il n’y en a pas. Une traduction de l’intraduisible.
Elle médite sur les traumatismes personnels et collectifs, rendant hommage
à sa mère et à d’innombrables autres personnes qui ont parcouru de grandes distances à la recherche d’une vie meilleure. Dans le cas de la mère d’Ilanit Illouz, la migration l’a menée en Algérie, à Marseille et à Kiryat Ata (dans le nord d’Israël).
Ses paysages abstraits représentent donc la sociopolitiqu - du territoire, des frontières, de la géographie et de l’indépendance. Ils sont résolument anonymes, un choix que je considère comme intentionnel et métaphorique, représentant simultanément quelque part et nulle part, ou la ligne ténue entre l’expérience personnelle et universelle.
Les œuvres d’Ilanit Illouz sont des « paysages politiques » pour les histoires
et les souvenirs qu’elles renferment, mais aussi pour les récits qu’elles cherchent à mettre en avant. Le processus unique de l’artiste est essentiel ici, qui prend la forme d’une sorte d’« intervention » - un acte d’excavation et de collecte délicate de matériaux organiques. Je vois Ilanit Illouz se pencher pour récupérer du sel, de la terre et du sable, et en retour, laisser une partie d’elle-même incrustée dans la terre. L’artiste crée une marque physique sur le paysage - wou peut-être s’agit-il plutôt d’un échange ? Une collaboration, ou même une performance ? J’imagine comment la terre se sacrifie pour Ilanit Illouz afin d’être commémorée. L’idée de « prendre » résonne dans ma tête. Prendre des photos, ou quelque chose qui ne nous appartient pas, comme un terrain, une maison, ou les droits de quelqu’un. De nombreuses destinations d’Ilanit Illouz font l’objet de conflits à la fois contemporains et historiques, souvent à propos de la terre-même qui, de la main de l’artiste, se cristallise et prend forme sur la surface de ses tirages. Il s’agit également de lieux impliqués dans des batailles modernes pour les ressources naturelles, notamment la mer Morte, dont le sel précieux est au centre d’un boycott international pour cause d’exploitation illégale. La mer morte est également confrontée à une crise climatique et se rétrécit à un rythme alarmant - environ un mètre par an. Au cours des quinze dernières années, 1 000 « sinkholes » comme on les appelle en anglais - des cuvettes qui se creusent dans le sol des régions calcaires - sont ainsi apparues. La traduction de « Sinkhole » en français, langue maternelle de l’artiste, est « Dolines » , le nom de sa série en cours. L’extraction et notre appétit apparemment insatiable pour les ressources naturelles marquent nos paysages à leur manière. Plus récemment, le travail d’Ilanit Illouz l’a conduite dans les régions volcaniques d’Italie. Ici, le sol se souvient de l’activité sismique de son passé et de son impact sur le paysage meurtri et les civilisations qui l’ont occupé. Les volcans sont à la fois témoins et traces du passé. L’artiste décrit son intérêt pour l’histoire comme étant «autobiographique, géologique, minéral et végétal ». En songeant à la matière volcanique - lave, poussière et pierre – me vient à l’esprit le mythe de Méduse, offensée par les hommes, chassée, et désormais dotée du terrible pouvoir de transformer les hommes en pierre. De les « pétrifier », à la manière du protocole de fossilisation utilisé par Ilanit Illouz. Méduse était quelque chose – une altérité - que l’on ne pouvait pas comprendre et qu’il fallait donc détruire. Après que Persée lui ait coupé la tête, Pégase et Chrysaor se sont envolées de son corps. Une transformation - une nouvelle vie à partir de la mort. Les régions volcaniques sont hostiles, et pourtant la vie trouve un moyen de survivre, parfois de s’épanouir.
En utilisant des matériaux organiques et des procédés de fouille, Ilanit Illouz souligne les pressions environnementales sur la géologie, le paysage, la limnologie, les écosystèmes et le climat de la Terre, ainsi que les effets de l’Anthropocène sur les mondes anciens. En prélevant peu, elle met en évidence de nombreux phénomènes ; ses interventions physiques symbolisant à la fois l’exploitation minière, et plus largement des sols, ainsi que la construction de barrages. Pour l’artiste, l’utilisation du sel est particulièrement significative. Son histoire complexe en tant que marchandise d’échange se confronte à sa place dans l’évolution historique et technologique de la photographie. La photographie est, par essence, un processus issu de la période industrielle et impériale.
Le sel a lui aussi traversé les continents et les océans, influençant au passage les dynamiques politiques, sociales et économiques. Il préserve, mais aussi dégrade - une métaphore de la fragilité de notre environnement et de la dynamique du pouvoir politique. Les pionniers Thomas Wedgwood (britannique, 1771-1805) et Joseph Nicéphore Niepce (français, 1765-1833) ont mis au point le procédé d’impression au sel, mais n’ont pas trouvé de solution pour fixer ou stabiliser leurs images. William Henry Fox Talbot (britannique, 1800-1877) a apporté quelques améliorations vers 1834, en utilisant une solution saline. L’utilisation de ressources naturelles pour capturer des images a été dévéloppée par Nicéphore Niepce vers 1822 avec la mise au point de l’héliographe”. Ce procédé implique l’utilisation du bitume de Judée, un matériau sensible à la lumière appliqué sur une plaque d’étain. Il a produit la plus ancienne photographie d’après nature connue, View from the window at Le Gras (1826 ou 1827).
Il existe une véritable alchimie dans le travail d’Ilanit Illouz, une beauté formelle dans la matérialité physique et la gestualité artisanale de sa pratique. Il s’agit d’un travail fastidieux, empreint d’une grande minutie. Après avoir collecté ses matériaux organiques, elle retourne à son atelier. Comme Wedgwood, Niépce et Talbot, elle crée et applique une solution à la surface de ses tirages photographiques, souvent à maintes reprises et pendant plusieurs mois. Une transformation s’opère. Le résultat n’est pas de ce monde un paysage lunaire, étincelant de millions de diamants. Un cheval de Troie qui cache sa complexité et attire le spectateur. Ilanit Illouz souligne la dimension cathartique de l’ensemble d’une démarche qui consiste à marcher, récolter, se remémorer, laver, effacer, oublier. Ses tirages sont à mes yeux un acte de résistance. Une archive alternative de l’histoire. Une forme de vie nouvelle surgissant des racines du passé.


